Camille Bryen
1907 - 1977

Portrait de Portrait de Camille Bryen par Denise Colomb, 1948

Bryen est un poète. Poète des signes, des mots, de la couleur, son œuvre poétique reste indissociable de son œuvre plastique. Chez lui, cette interférence entre littérature, dessin, gravure et peinture lui permet de mieux approfondir sa quête onirique et de saisir « le jaillissement rayonnant du réel imprévisible et toujours vivant ». Éternel découvreur, sa recherche constante d’un monde différent l’amène à multiplier les expériences. Héritier de Dada pour sa poésie, il y puise cette liberté nécessaire à son art, qui conforte sa révolte contre les doctrines, les croyances et autres théories idéologiques restrictives. Il tente de percer le sens secret des mots comme il demande au graphisme d’affranchir son monde intérieur, laissant surgir son instinct, ses pulsions, comme autant d’expressions qui définissent l’unité de son œuvre caractérisée par la notion d’« abhumanisme », autrement dit, suivant la définition qu’en fait Bryen, « le monde sans l’homme… la disponibilité absolue, le refus de sanctionner le choix qu’on se trouve avoir fait, ou avoir subi… d’être un homme, d’être cela qui est, moi, d’être cela qui se surprend en train de parler… » (Colloque abhumaniste, Jacques Audiberti, Camille Bryen, L’Ouvre-boîte, Gallimard, 1952).

“ La peinture est l’expression de la vie profonde et s’organise comme une fonction cosmique. Loin d’être ressortissante de la seule émotion sensorielle, elle se doit d’agir comme une œuvre magique abordant la voyance non seulement de l’œil, mais la voyance paroptique... ”

Nous n’évoquerons ici que celui en qui l’on reconnaît le « père du tachisme » et qui suivant ses termes « est venu à la peinture à travers l’anti-peinture ». Ce sont les premiers Dessins automatiques (1934-1935) suivis par les Objets à fonctionnement (1935), qui débouchent sur des recherches de matière et l’emploi de procédés non traditionnels — couleur de cire et de bougies, traces de fumée — aboutissant à sa première œuvre tachiste, Cire et bougie (1935) exposée aux Surindépendants de 1936. Expérience décisive, qui devient le révélateur de la sensibilité de l’artiste, perceptible dans les passages colorés, les demi-teintes et un sens de l’espace qui le conduisent au « tableau ». Fumée contient déjà à la fois ce côté imprévu et fantaisiste au sein d’une structure où alternent rigueur et souplesse des courbes. Œuvre charnière, elle fait de Bryen l’un des initiateurs de l’abstraction lyrique.

1946, exposition à Bâle, galerie Suzanne Feigel, de ses premières gouaches tachistes en compagnie d’Arp. Ses Structures imaginaires sont préfacées par Audiberti.

L’année suivante, il expose des dessins, galerie du Luxembourg, Paris. 1947, avec Georges Mathieu, il crée le mouvement « Non-figuration psychique ». Tous deux organisent à la galerie du Luxembourg l’exposition devenue historique « L’Imaginaire », préfacée par Jean-José Marchand et à laquelle participent Atlan, Hartung, Ubac, Riopelle… L’abstraction lyrique est née. Celle-ci peut faire sienne la définition que Bryen donne de sa peinture : « La peinture est l’expression de la vie profonde et s’organise comme une fonction cosmique. Loin d’être ressortissante de la seule émotion sensorielle, elle se doit d’agir comme une œuvre magique abordant la voyance non seulement de l’œil, mais la voyance paroptique : non seulement la dimension des formes et des couleurs, mais celles des absences, des dédoublements, des souvenirs, des ambivalences psychiques et physiques. L’homme n’est jamais seul devant sa peinture, c’est un dédoublement de l’être qui intervient. […] C’est loin des valeurs humaines que se joue l’aventure picturale. Luxuriante, et inutile apparemment, comme un phénomène de vraie nature, elle transpose l’être dépaysé dans un nouveau vacuum cleaner à explorer et à vivre » (in Bryen, « Jepeinsje », La Tour de feu, n° 51, 1956).

La deuxième exposition du mouvement a lieu en 1948, galerie Colette Allendy : « HWPSMTB » (Hartung, Wols, Picabia, Stahly, Mathieu, Tapié, Bryen). Il réalise ses premières gravures.

Sable de bois, 1953
Huile sur toile
100 x 81 cm
Psychotachique, 1954
Huile sur toile
92 x 65 cm

En 1949, c’est à la galerie des Deux-Isles que son exposition est préfacée par Audiberti, « Camille Bryen poileur de pierres », et qu’apparaissent ses premières peintures à l’huile. La même galerie présente l’année suivante des gravures et des dessins « cuivres et plumes ».

Exposition à la galerie Pierre, en 1950, accompagnée d’une conférence de Bryen.

Ses manifestations tant personnelles que collectives se multiplient. Il n’est pas possible ici de les énumérer toutes : mais certaines sont à mentionner car elles montrent l’importance de Bryen au sein de l’art informel.

1951, première confrontation de peintres non figuratifs à la galerie Nina Dausset où Bryen côtoie Mathieu, Hartung, Pollock, Riopelle, Russell, Capogrossi, de Kooning et Wols, réunis sous le titre « Véhémences confrontées » et présentés par Michel Tapié. Le critique présente l’année suivante au Studio Facchetti « Les Signifiants de l’informel ».

Bryen participe également au Salon d’octobre de Charles Estienne en 1953, au groupe « Phases de l’art contemporain », Studio Facchetti, en 1954, et à celui « Individualités d’aujourd’hui », galerie Rive Droite.

En 1955, Michel Tapié présente « Tendances nouvelles » à la Kunsthalle de Berne et Colette Allendy associe Wols et Bryen pour une exposition intitulée « 2bis ».

Il expose ses peintures récentes en 1952 et 1953 chez Colette Allendy, en 1954 galerie Pierre, 1955 galerie Édouard Loeb, et publie « Jepeinsje » (1956). À cette époque, ses activités picturales supplantent sa poésie et il illustre de nombreux livres. En 1956, l’évolution de son graphisme se précise parallèlement au rôle dévolu à la couleur dans ses aquarelles ; il est déjà sensible en 1954 dans une œuvre comme Cris-gris. Le glissement progressif de l’écriture au dessin ne rompt en rien avec l’univers poétique qui est le sien. Simplement la main prend le relais de l’esprit, comme les mots s’évanouissent pour laisser envahir l’espace du support d’un foisonnement de lignes, à la fois imbriquées comme dans un réseau cellulaire ou s’éparpillant dans des formes éclatées. Mais tout n’est qu’apparence, car sa démarche mentale est bien la même et les titres accompagnant chaque œuvre sont là pour le rappeler : L’Apensée sauvage, L’Afocalypse, Pullulement informel soulignent la correspondance entre les jeux de mots de Bryen, qui sont désarticulation du langage, et le démembrement linéaire. Mécanisme oscillatoire qui lui fait dire : « Je dessine pour ne pas écrire. »

Ses aquarelles qu’il expose à Genève (1952), Lausanne (1953), Stuttgart (1953), Paris à la librairie Les Amis des Livres (1953), Londres (1956), de type arachnéen, offrent des couleurs qu’il projette en taches ménageant des temps forts et faibles parmi cet entrelacement de linéaments dont les axes obliques donnent tout le dynamisme. Cette structure se retrouve dans les toiles qui, à partir de 1956, présentent une construction en damier: Précambryen est à cet égard une œuvre charnière. Transparences des teintes, finesse et raffinement de l’encre de Chine participent à renforcer cette fluidité qui ouvre sur un espace infini.

Bryen continue d’exposer autant à l’étranger qu’en France : à Paris en 1956 galerie Stadler, en 1957 à Milan galerie Apollinaire (préface Jean-Pierre Restany, « Bryen, délirant, aventurier de l’inconnu »), en 1958 à Vienne (« Quarante dessins de 1934 à 1958 »), groupe « Phases » en 1956 galerie Kléber.

1959, année de sa première rétrospective « Cent œuvres choisies », préfacée par Julien Lanoe, au musée des Beaux-Arts de Nantes, à Lausanne (préface de Pierre Restany, « Camille Bryen, poète du dessin »), à Milan (préface de P. Restany, « L’Espace dans l’homme ») et mention d’honneur au prix Lissone. 1959, Bryen peint Feu de bengali, nouvelle étape dans l’expression de sa sensibilité, plus sensuelle et plus calme. Paysage intérieur est une suite dans laquelle les damiers jaunes, orange, ocre, blancs s’agrandissent et dont la violence graphique s’atténue.

1960, galerie Cazenave, peintures récentes à l’occasion de la publication par R. V. Gindertaël de « Bryen ». Participe au groupe « Antagonismes », pavillon de Marsan, musée des Arts décoratifs, Paris.

1961, galerie R. Cazenave, « Vingt-quatre dessins ». Ses œuvres se font de plus en plus aériennes.

Il est toujours présent dans toutes les manifestations importantes : 1960, participe au prix Solomon Guggenheim à New York et à la Biennale de Venise. 1961, hors concours au prix Lissone, Biennale de São Paulo. 1962, participe au prix Marzotto à Rome, illustre Vigies de Tristan Tzara. 1962, exposition itinérante de « L’École de Paris » à la Tate Gallery à Londres, puis à Cardiff, Liverpool et Aberdeen. 1963, expositions « École de Paris » à Zagreb et à Ljubljana. 1964, galerie La Hune, « Vingt œuvres graphiques », Nantes, galerie Argos, « L’Atelier de Bryen », Paris, galerie Daniel Cordier, accrochage de toutes ses expositions. 1964, musée de Saint-Étienne, « Cinquante ans de collage » reprise au pavillon de Marsan. 1965, présentation à La Hune du livre audiovisuel Carte blanche à Bryen avec un disque et des Bryscopies, diapositives originales. 1965, « Trente-cinq peintres contemporains au Japon », Tokyo, « École de Paris » à Prague, Bucarest et Budapest.

Il expose au Salon des réalités nouvelles en 1946, 1947, 1948 et 1956. Salon de mai 1956. Sociétaire du Salon d’automne en 1963.

Figure essentielle du mouvement désigné par Michel Tapié sous le nom d’« informel », le critique l’intègre naturellement dans son livre Un art autre sous-titré « Où il s’agit de nouveaux dévidages du réel » (1952). Deux œuvres reproduites, Hépérile (1953) et Tellurie, illustrent les propos de Bryen à qui Jean Grenier demandait de donner une définition de l’informel : « Mes recherches tendent à vivre l’inconditionné : j’ai voulu dissoudre la forme. […] Je ne pouvais attaquer la forme qu’en faisant des non-formes. Je me suis aperçu alors que la forme réapparaissait. […] J’obtenais ce que j’ai appelé des non-non-formes. […] C’était une tentative mystique non figurative » (entretiens avec Jean Grenier dans « Dix-sept peintres non figuratifs », Éditions Calmann-Lévy, 1963).

1967, « L’Atelier au musée, Bryen dialogue avec le public », Paris, musée d’Art moderne de la Ville, l’ARC.

1970, rétrospective, musée des Beaux-Arts du Havre, préface de Geneviève Testanière.

1970, « Bryen, œuvres 1965-1970 ». Galerie de Seine, Paris. Catalogue.

1971-1972, Exposition itinérante organisée par le CNAC. Catalogue D. Abadie.

1973, Rétrospective, Musée national d’art moderne, Paris. Catalogue Jean Leymarie, Jean-Hubert Martin, Marielle Tabart.

1979 et 1981, Paris, Musée national d’art moderne. Centre G. Pompidou (donation Bryen).

1988, « Œuvres graphiques 1948-1960 ». Galerie Callu Mérite, Paris. Catalogue J. Boutet-Loyer.

1990, Bryen, huiles, gouaches, plumes. Galerie Callu Mérite, Paris. Catalogue J. Boutet-Loyer.

  • Œuvres dans de nombreuses collections publiques : musées de Dunkerque, Grenoble, Le Havre, Les Sables-d’Olonne, Lille, Paris au Centre G. Pompidou, Rennes, Saint-Étienne, Strasbourg, Tourcoing, Valence, et à l’étranger Jérusalem, Lisbonne à la Fondation Gulbenkian, Locarno, Rome, Schiedam…
  • Daniel Abadie, Bryen Abhomme. La Connaissance, Bruxelles 1973.
  • Jacqueline Boutet-Loyer, « “Acides Abhumaniques”. L’œuvre gravé et la lithographie ». Nouvelles de l’estampe, n° 22, juillet-août 1975.
  • Jacqueline Boutet-Loyer, Bryen, l’œuvre peint, catalogue raisonné. Librairie Quatre Chemins. Éditart. Paris, 1986.

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