Otto Wols
1913-1951

Otto Wols, autoportrait, c. 1932-33

Père du tachisme, l’essentiel de son œuvre se déroule sur cinq ans, de 1946 à 1951. Cette courte période a suffi pour faire de lui un des précurseurs de l’abstraction lyrique. Prématurément vieilli par l’alcool et la misère, reclus dans une chambre d’hôtel avec sa femme Gréty, inséparable de sa pipe et de son chien, il passe ses journées à rêver, à lire Lao Tseu et le Bhagavad-Gita, et à dessiner sur de petits bouts de papier au milieu des conversations de ses amis ou de visiteurs de passage.

D’une famille saxonne de haute bourgeoisie, il passe son enfance à Dresde où son père juriste est en poste. La ville est ouverte aux idées du Bauhaus de Weimar et Dessau, tout proches. D’une grande intelligence, il manifeste des dons multiples. Tout d’abord la musique. Il a appris le violon, le piano, la composition et se voit proposer un poste de chef d’orchestre par le directeur de l’Opéra de Dresde. Egalement la mécanique et l’anthropologie. Mais il opte pour les arts plastiques et c’est en dilettante qu’il fera toute sa vie de la musique jouant notamment Bach sur son banjo quand il aura perdu son violon. De la même façon il pratiquera la photographie, pour laquelle il montre des dons de novateur et d’inventeur exceptionnels, qui lui permettront de gagner modestement sa vie quand il arrivera à Paris en 1932. Quelques mois auparavant il s’est inscrit au Bauhaus de Berlin.

“ Que fait Wols? Il se laisse descendre au fond de lui-même comme un plongeur et sa main graffigne tout ce qu'il aperçoit : des toiles d'araignées, des graminées, des forêts d'algues, des montres, des mollusques, des villes-montagnes russes, des bateaux-maisons, des îles, des boucheries-bijouteries, des attractions, des fentes et des centres d'effroi. Tout cela et bien d'autres choses encore. Il ordonne ces visions dans une crise. Je lui sais gré de plonger ainsi et de nous montrer sa pêche. ”

La peinture domine tous ses centres d’intérêt. Moholy-Nagy à qui il montre ses premiers dessins décèle un talent si personnel qu’il lui déconseille tout enseignement. A Paris il fait la connaissance de Léger, Arp, Giacometti, Miró, Ernst, Tzara, Calder et aussi de sa femme. Une vie difficile commence pour le couple. Jusqu’en 1935 il séjourne en Espagne, à Ibiza où Wols pour vivre, exerce ses talents de photographe et de chauffeur, et à Barcelone où il sera arrêté pour situation irrégulière. Il rejoint la France après avoir traversé les Pyrénées à pied. Toutes les œuvres de cette période ont disparu. De nouveau à Paris, il devient photographe au « Pavillon de l’Élégance» de l’Exposition internationale. La qualité de ses photos lui vaut une exposition de photographies à la galerie «Les Pléiades» sous le nom de Wols, contraction de son nom, et qu’il conservera.

Il se met à dessiner, en improvisant, de légères architectures d’un dessin ténu et contenant une flore fabuleuse qui se mue bientôt en « fleurs du mal», suivant l’expression de Werner Haftman, un de ses commentateurs. La guerre éclate. Interné comme sujet allemand, un temps d’errance commence pour lui passé dans les camps de Vierzon, Montargis, Nîmes et celui des Mille à Aix-en-Provence. Il se réfugie dans l’alcool. La déchéance morale, la misère l’ont mûri. Ses dessins et gouaches d’alors témoignent de sa vision d’un univers concentrationnaire et s’offrent comme un journal intime qu’il tient réellement. D’abord pour oublier « La première chose que je chasse de ma vie c’est la mémoire », ensuite il explique sa frénésie graphique: « On raconte ses petits contes terrestres à travers des petits bouts de papier.» Libéré en 1940, il s’installe avec Gréty à Cassis. Sans moyen, il travaille cependant dans la joie. Il dessine ses « improvisations psychiques » colorées avec ces «petites pastilles » d’aquarelle. Poète nourri de Novalis, Poe, Lautréamont, Baudelaire, Artaud, Shelley, Kafka, Faulkner, Morgenstern et Rimbaud dont les images du « Bateau ivre » sont semblables à celles de ses « bateaux rêves »qui habitent ses aquarelles. Ils évoluent dans des villes qu’habitent des monstres. Mi-surréalistes, mi-expressionnistes, ses gouaches sont alors proches de celles de Klee.

Sans titre (connue sous le nom de Tête rouge et blanc ou encore Lazard), 1946-1947, Huile sur toile, 41 x 33 cm

En 1942 sa crainte des Allemands le fait s’installer à Dieulefit dans la Drôme où il restera jusqu’en 1945. Il y fait la connaissance d’Henri-Pierre Roché, collectionneur qui lui achètera 50 gouaches en trois ans et aussi écrivain, dont le roman «Jules et Jim» devenu un film de Truffaut lui apportera le succès posthume. C’est lui qui demande à René Drouin de venir à Dieulefit pour voir les œuvres de Wols.

Enthousiasmé, il obtient non sans réticence de la part du peintre qu’il expose. La manifestation a lieu en mai 1947 à la galerie Drouin. La préface est écrite par Henri-Pierre Roché: «Extraits de notes sur Wols»: «Que fait Wols? Il se laisse descendre au fond de lui-même comme un plongeur et sa main graffigne tout ce qu’il aperçoit: des toiles d’araignées, des graminées, des forêts d’algues, des montres, des mollusques, des villes-montagnes russes, des bateaux-maisons, des îles, des boucheries-bijouteries, des attractions, des fentes et des centres d’effroi. Tout cela et bien d’autres choses encore. Il ordonne ces visions dans une crise. Je lui sais gré de plonger ainsi et de nous montrer sa pêche.»

Mathieu, qui se rend à l’exposition, écrira plus tard combien il fut bouleversé à la vue de ces toiles:  «Toutes plus foudroyantes, plus déchirantes, plus sanglantes les unes que les autres: un événement considérable le plus important sans doute depuis les œuvres de Van Gogh. Le cri le plus lucide, le plus évident, le plus pathétique du drame d’un homme et de tous les hommes … Wols a tout pulvérisé … il vient d’anéantir non seulement Picasso, Kandinsky, Klee, Kirchner en les dépassant en nouveauté, en violence, en raffinement… Wols vient de tourner une page: avec cette exposition s’achève la dernière phase de l’évolution formelle de la peinture occidentale telle qu’elle s’est annoncée depuis soixante-dix ans, depuis la Renaissance, depuis dix siècles » « Au-delà du tachisme» Julliard 1963, repris dans «De la Révolte à la Renaissance» Idées Gallimard 1972).

Venu à Paris pour la circonstance, Wols ne repartira pas et va passer la dernière période de sa vie dans les hôtels de la rive gauche, dessinant tout le temps sur de petits cahiers d’écolier.

C’est en janvier 1946 que son œuvre subit un profond changement en abordant la peinture à l’huile. René Drouin lui a fourni tubes et toiles. L’anecdote, les images rêvées sont abandonnées pour un univers informel, inconnu jusqu’alors et qui malmène, balayant tout sur son passage. Son envoi au Salon des Réalités Nouvelles de 1947 est suivi par son exposition en mai chez Drouin où les 40 toiles présentées apparaissent comme l’aboutissement de sa démarche. A cette occasion, René Drouin publie un livre de René Guilly consacré à Wols. «Devant toutes ses toiles récentes, nous éprouvons la même difficulté: l’impossibilité de nommer. Par rapport à notre connaissance du monde extérieur, il n’y a rien là d’identifiable avec certitude. Est-ce à dire que ces toiles ne représentent rien? On y sent au contraire des formes nombreuses se combattre et se mêler. Le tableau se multiplie sans cesse, et ce que nous constatons, en définitive, c’est une figuration inépuisable.»

Jusqu’à sa mort il développera son œuvre en l’enrichissant. Il installe une nouvelle spatialité où l’Être se projette dans le cosmos. Michel Ragon écrit: « Pour Sartre et Simone de Beauvoir, Wols, limitrophe encore de Klee et de Max Ernst, traduisait plastiquement la germination spontanée du sens de l’absurde au sein d’une conscience individuelle. Mais c’est dans le dépassement de ces premières constatations d’évidence, au-delà de ce sens primaire de l’absurde que devait se fixer la personnalité originale de Wols. La vision de Wols diffère profondément par là de l’absurde kafkaïen … le souci constant de l’artiste est de préserver au sein de sa création les éléments de transcendance nécessaire à toute poésie. C’est ainsi qu’est toujours sauvegardée chez Wols la possibilité d’un cri triomphant, acte d’amour et d’universelle communion, très proche de la mystique chinoise » (in « Cimaise » Wols, octobre-novembre 1958).

Jean-Paul Sartre analyse ainsi sa création: « C’est de sa vision qu’il se dégoute … Avant, les objets quotidiens lui servaient à construire ses pièges, à suggérer l’insaisissable, comme au-delà de leurs contradictions; après 1940, convoqué par des moyens différents, l’être parait d’abord et les suggère allusivement. Tout se retourne: l’être se laisse deviner c’était l’envers de l’homme, c’est l’homme à présent, qui est l’envers de l’être » (in « Wols en personne » (Situation IV) Gallimard). Il n’abandonne pas l’aquarelle ni le dessin. En 1947 il illustre de gravures les œuvres de ses amis, Sartre «Visages»

(1948) « Nourritures » (1949), Paulhan «Le berger d’Ecosse» (1948), René de Solier «Naturelles» (1948), Antonin Artaud «Le théâtre de Séraphin» (s.d.), Bryen «Baleine-Ville» (1949) et aussi Kafka «L’invité des morts» (1948).

En 1949 il expose galerie del Milione à Milan, puis en 1950 à la Hugo Gallery de New York. Ses forces déclinent sous l’emprise de la boisson, de la misère et d’une grande tension nerveuse. Malgré ses amis Sartre, Mathieu et Bryen qui lui témoignent une grande admiration, Wols reste seul, sortant la nuit lorsqu’il ne travaille pas pour admirer les façades. A la suite d’une cure de désintoxication, il reprend goût à la vie, travaille et s’installe à Champigny où il pense mener une vie plus sereine. Cet apaisement est de courte durée. A la suite d’un empoisonnement alimentaire, il meurt le 1er septembre 1951 à l’hôtel Montalembert. Sa disparition restera mystérieuse.

Son influence reste déterminante. Aux côtés de Bryen auquel il servit de révélateur, de Mathieu et d’Hartung il mène le combat. Son rôle fut primordial lors de « l’offensive antigéométrique », suivant le terme de Mathieu, alors toute-puissante autour de 1947-1948. Mathieu le fait figurer à ses expositions, aujourd’hui historiques. 1947 «L’imaginaire» galerie du Luxembourg, avec un texte de J.J. Marchand, à l’origine du mouvement de l’Abstraction lyrique, qui s’affirme en 1948 avec l’exposition toujours placée sous l’autorité de Mathieu: «H.W. P.S.M.T.B. » (Hartung, Wols, Picabia, Stahly, Mathieu, Tapié, Bryen) galerie Colette Allendy, avec des textes de chacun des participants sauf de Hartung et de Stahly, et en juillet de la même année « White and Black» galerie des Deux Isles regroupant Hartung, Wols, Arp, Tapié, Picabia, Ubac, textes d’Edouard Jaguer et de Michel Tapié. Ultime participation de Wols à une manifestation marquant une orientation nouvelle de l’Abstraction lyrique: « Véhémences confrontées » en mars 1951 galerie Nina Dausset, réunissant Bryen, Capogrossi, de Kooning, Hartung, Pollock, Riopelle, Russell, Wols et Mathieu.

Dans un univers miniaturisé, ouvrant sur des labyrinthes vertigineux, Wols a développé un informel prenant appui sur une écriture aiguë, raffinée et automatique qui l’a rapproché momentanément du surréalisme. Peintre maudit s’il en fut, son œuvre se confond avec sa vie, qu’il remet en jeu en permanence, à travers des risques calculés, souhaités. La mort est omniprésente dans son œuvre, tout comme les déchirures mettent au jour les réseaux arachnéens et tentaculaires dominés par la mystique chinoise dont il reste profondément empreint.

Sa gloire posthume est immense.

Rétrospective à la Biennale de Venise en 1958. Préface de V. Apollonio.

1958 Wols. Galerie Claude Bernard Paris, Catalogue « Souvenirs sur Wols » par Henri-Pierre Roché.

1973 Rétrospectives National Galerie de Berlin et Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Catalogue, préface de Jacques Lassaigne.

Musées : Paris national d’Art Moderne – Cologne – Hambourg – Münich – Münster – Stuttgart – Zürich

Marcel Lecomte : « Souvenirs sur Wols » Quadrum 1959,

Werner Haftmann : « Wols, sa vie et l’œuvre » « En personne. Aquarelles et dessins ». Ed. Delpire Paris 1963.

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